Un parlement est, sous l'Ancien Régime dans le royaume de France, une cour de justice de dernier ressort, dite aussi cour souveraine, puis cour supérieure à partir de 1661, qui rend la justice au nom du roi, dans un territoire délimité.
Les parlements avaient l'obligation d'enregistrer les actes royaux, c'est-à-dire de les publier dans leurs registres, après avoir vérifié leur compatibilité avec le droit, les usages et les coutumes locales, ce qu'on appelle aujourd'hui le contrôle de légalité.
En tant que Cours de dernier ressort, ils avaient l'obligation de faire épisodiquement une synthèse ou une refonte de la jurisprudence sur une question donnée, dans des décisions solennelles aboutissant à un arrêt de règlement. C'est dans cette seule limite que les parlements disposaient d'un pouvoir judiciaire et/ou législatif.
À la fin du règne de Louis XIV et sous Louis XV, il existait parmi les membres des différents parlements de France, un mouvement puissant, appelé fronde parlementaire ou jansénisme parlementaire, qui exigeait la fusion de tous les parlements en un Parlement national unique, comme il en existait en Angleterre et qui revendiquait un pouvoir législatif qui se serait exercé au nom de la Nation française.
Leur opposition au pouvoir royal durera ainsi un siècle, mais ce seront finalement les États généraux de 1789 qui fronderont le Roi, pour incarner pleinement le pouvoir législatif. Les anciens parlements seront définitivement dissous par décret en 1790.
Rôle[]
Rôle judiciaire[]
Les parlements fonctionnaient comme des cours d'appel, à la fois civile et criminelle, mais aussi comme un tribunal de première instance pour certaines causes, en particulier concernant la noblesse.
Les parlements exerçant la justice en vertu d'une délégation du roi, et en son nom, il était toujours possible au roi de dessaisir un parlement d'une affaire et de la faire évoquer à son Conseil. C'était en réalité une faculté utilisée très rarement, hors les cas d'obstruction ou de carence.
Les décisions des parlements pouvaient être réformées par le roi, et les condamnés, bénéficier de grâces, qui étaient nombreuses. L'annulation des condamnations à mort pour homicide involontaire était ainsi systématiquement prononcée, ou les peines afflictives pour les femmes, en particulier les peines de bagne, commuées en peines de réclusion dans un couvent.
À Paris, à partir de l'ordonnance du 11 mars 1345, le parlement comprenait trois chambres : la Grand'chambre ou Chambre des plaids, la Chambre des enquêtes, et la Chambre des requêtes[1]. Dans la plupart des parlements de province, il existait également plusieurs chambres.
Un parlement n'était pas tenu de statuer en droit, mais avait le pouvoir de statuer en équité, ce qui est couramment perçu comme générateur d’arbitraire, et un célèbre adage proclame : « Dieu nous protège de l'équité des parlements[2] ».
Rôle législatif[]
Les parlements n'avaient pas, à proprement parler, le pouvoir de légiférer, c'est-à-dire d'édicter de nouvelles lois en matière civile ou criminelle. Ils avaient cependant le droit de rendre des arrêts de règlement, c'est-à-dire des décisions permettant de réglementer un problème de manière générale. Les arrêts de règlement étaint donc des mesures de l’ordre du législatif, qui diffèraient toutefois des ordonnances, dans leur forme, puisqu'ils empruntaient celle d’une décision judiciaire, et qu'il n'étaient applicables que dans les affaires ressortissant au parlement. Ces arrêts pouvaient concerner le droit public, le droit privé, le droit criminel et même la police.
Synthèse de la jurisprudence et de la procédure[]
En tant que juridiction de dernier degré — c'est dans ce sens qu'elles étaient appelées cours souveraines — les parlements jouaient un rôle d'unification du droit — à la manière des Cours d'appel — avec en plus la possibilité de prendre, toutes chambres réunies, des arrêts de règlement qui reprenaient sous forme d'articles les solutions de jurisprudence et disposaient d'une autorité de la chose jugée qui s'imposait aux juridictions inférieures, sur le modèle anglais de la common law. Cependant, il faut remarquer que le roi pouvait toujours (très rarement dans les faits) retenir sa justice, c'est-à-dire retirer une affaire à un parlement ou à n'importe quelle cour, et la faire évoquer définitivement devant son conseil.
Contrôle de légalité[]
Les parlements étaient également investis du pouvoir de contrôle de légalité, c'est-à-dire du contrôle de la compatibilité des ordonnances, édits et déclarations du roi avec les lois, coutumes, et autres règlements existants.
En effet il était nécessaire qu'un parlement enregistre, c’est-à-dire transcrive sur le registre officiel, les édits, les ordonnances royales et les lettres patentes afin qu'ils deviennent publics et donc applicables (et opposables) aux tiers dans la circonscription du parlement. Mais un parlement pouvait très bien refuser d'enregistrer une ordonnance ; il adressait alors au roi des remontrances, c'est-à-dire des observations sur la légalité du texte qu'on lui soumettait.
Cette pratique avait pour but de permettre aux parlements de vérifier la concordance de l’édit ou de l’ordonnance avec le droit antérieur, les privilèges et les coutumes de la province — ainsi que les principes généraux du droit — et était au départ limitée aux cas où le roi avait expressément demandé avis et conseil au parlement. Cependant, les rois successifs ayant de plus en plus toléré la pratique de remontrances faites sans sollicitation préalable, elle deviendra par la coutume, un droit.
Les parlements utiliseront de plus en plus ce droit, de fait un droit d'annulation de la décision royale, pour devenir un contre-pouvoir face au pouvoir monarchique. En cas de refus de l'enregistrement, le roi pouvait adresser au parlement des « Lettres de jussion » dans lesquelles il enjoignaitt à la cour de procéder sans délai à la formalité : soit le parlement s'inclinait, soit il refusait à nouveau et adressait des remontrances itératives. Le roi pouvait alors céder, ou imposer sa décision au parlement en y siégeant lui-même dans un lit de justice : le roi venait siéger au parlement et lui retirait la justice qu'il lui avait déléguée. La décision royale était alors enregistrée « de l'exprès commandement du roi ».
Sous Louis XIV, le droit de remontrance fut modifié pour devenir un droit a posteriori — c'est-à-dire après l'enregistrement du texte — ce qui en réduisait considérablement la portée.
Personnel[]
Ces cours de justice fonctionnaient avec un personnel d’officiers, c'est-à-dire des agents administratifs propriétaires de leur charge, qui formaient la « noblesse de robe » différente de la « noblesse d’épée ». On distinguait des conseillers et des présidents qui se réunissaient pour les jugements en différentes chambres : la grand-chambre, pour les affaires les plus importantes, la Tournelle pour les affaires criminelles, voire la chambre de la marée pour les litiges liés à la vente du poisson.
Le parlement de Paris comprend aussi les pairs de France jusqu’à la fin du XIIe siècle.
Histoire[]
Origine[]
Au début du Moyen Âge, la cour du roi, Curia Regis entourait le roi pour toutes les affaires du royaume. Mais le développement du pouvoir royal entraina la séparation de la Curia Regis en trois organes distincts : le Conseil du roi pour les affaires politiques, la Chambre des comptes pour les questions financières, et le Parlement pour la justice. C'est l'origine du parlement de Paris au XIIIe siècle. Le parlement de Paris a compétence sur tout le royaume jusqu'au XVe siècle. Les clercs en sont exclus en 1319. L'ordonnance du 11 mars 1344 l'organise définitivement.
À partir de 1422, de nouveaux parlements sont créés : à Toulouse, à Bordeaux puis dans les grands fiefs rattachés au domaine royal. En tout, quatorze parlements ont été mis en place du XIIIe au XVIIIe siècle.
Les parlements, et notamment le parlement de Paris, ont toujours été un appui de la royauté face à la papauté pour la défense de l’église gallicane. Durant les guerres de religion, ils s’opposent ainsi à l’introduction de la réforme tridentine en France, qui renforcerait les pouvoirs du pape, puis éclatent entre ligueurs et royalistes : ainsi, les membres du parlement de Paris fidèles au roi forment de 1589 à 1594 le parlement de Tours.
Frondes parlementaires[]
Les droits d’enregistrement (qui consiste à publier les actes royaux : édits, ordonnances, déclarations, lettres patentes) et de remontrance (qui consiste à faire des remarques en cas d'irrégularité ou d'incompatibilité avec des lois ou coutumes existantes dans leur ressort), donnèrent aux parlements l'idée qu'ils avaient un pouvoir de contrôle, voire de censure, des décisions royales. C’est notamment le cas pendant la première période de la Fronde, la Fronde parlementaire, (1648-1649). Le Parlement de Paris réclame le droit de contrôler les finances du royaume.
Ce faisant, après la Révolution anglaise, les parlements revendiquent les compétences du Parlement de l’Angleterre dont une des deux chambres, la Chambre des communes, est composée d’élus, alors que les parlements français sont à l’époque composés de magistrats dont les charges sont des offices royaux inamovibles et souvent héréditaires.
En 1673, Louis XIV interdit aux parlements de faire quelque remarque que ce soit avant l’enregistrement des édits. Ceci musela les parlements pendant tout son règne.
Les parlements relèvent la tête après la mort de Louis XIV en 1715, en négociant leur droit de remontrance avec le régent Philippe d’Orléans, à qui ils attribuent, en cassant le testament de Louis XIV, les pouvoirs que ce dernier, oncle du régent, avait très fortement limité. À partir de 1750, les parlements bloquent les réformes du pouvoir royal, notamment le principe d'égalité devant l'impôt.
Le 3 mars 1766, Louis XV, frustré de n'avoir pas pu faire la série de réformes qui devaient permettre au royaume de se remettre, va au devant du parlement et tient un lit de justice. Cette séance s'appelle la séance de la Flagellation[3] du nom de la fête du 3 mars. Louis XV y fait donner un discours appuyant le principe d'absolutisme royal, et le fait que le droit de remontrance des parlements n'est qu'un pouvoir de justice délégué, que le roi reste la seule source de pouvoir du royaume.
Louis XV est désormais décidé à limiter les parlements. En 1771, le chancelier Maupeou, nommé en 1768, enlève aux parlements de Paris et de provinces leurs attributions politiques et les divise en six Conseils supérieurs, les cantonnant à rendre la justice.
Mais en 1774, Louis XVI, conseillé par Maurepas (« Sans parlement, point de monarchie ») et inquiet de sa popularité, fait rappeler les anciens Parlements, ce dont se charge son nouveau chancelier Lamoignon. Louis XVI reculera désormais chaque fois devant leur opposition. Ils jouent un rôle important dans l’agitation pré-révolutionnaire des années 1780. Ils sont soutenus par une partie du peuple dont ils prétendent être les protecteurs contre le « despotisme » royal. En empêchant toute réforme de celui-ci, ils préparent la Révolution, dont ils sont les premières victimes : dès 1790, les parlements sont remplacés par des juges élus et appointés par l’État.
Liste des parlements[]
- vers 1250 : Parlement de Paris
- 1422 : Parlement de Dole, jusqu'en 1676 date de son transfert à Besançon.
- 1443 : Parlement de Toulouse
- 1451 : Parlement de Bordeaux, en exil à Condom (actuel département du Gers), puis à Marmande (actuel département de Lot-et-Garonne) et La Réole (actuel département de la Gironde) de 1675 à 1690
- 1453 : Parlement de Grenoble ou Parlement du Dauphiné
- 1477 : Parlement de Dijon ou Parlement de Bourgogne
- 1485 : Parlement de Bretagne, établi à Vannes. Restauré en 1553 alternativement à Rennes et Nantes (1557), puis à Rennes (1561-1675), Vannes (1675-1690), Rennes (1690-1789).
- 1499 : Parlement de Normandie ou Parlement de Rouen
- 1501 : Parlement d'Aix ou Parlement de Provence
- 1523 : Parlement de Dombes, à Lyon, puis à Trévoux (actuel département de l'Ain) de 1696 à 1771
- 1620 : Parlement de Pau ou Parlement de Navarre
- 1633 : Parlement de Metz, à Toul entre 1637 et 1658
- 1668 : Parlement de Flandres, à Tournai (actuellement en Belgique), puis Cambrai (1709), puis Douai (1713)
- 1676 : Parlement de Besançon
- 1768 : Parlement de Nancy, jusqu’en 1775
Notes et références[]
- ↑ Jacques Le Goff, « Capétiens », dans Encyclopædia Universalis
- ↑ Cité par André Tunc, « The Grand Outlines of the Code », dans Bernard Schwartz (dir.), The Code Napoleon and the Common Law World, New York University Press, New York, 1956, p. 19
- ↑ Le discours de la flagellation ou le procès-verbal du lit de justice du 3 mars 1766.
Voir aussi[]
- Premier président du Parlement de Paris
Bibliographie[]
- Véronique Demars-Sion et Sabrina Michel (dir.), "Le parlement de Flandre à travers ses archives", dans Revue du Nord, tome 91, no 382, octobre-décembre 2009, 2009.
- Émile Ducoudray, « La Révolution française face au système judiciaire d’Ancien Régime », dans Annales historiques de la Révolution française, nº 327, 27 avril 2004 [lire en ligne]
- Elise Frêlon, "Le Parlement de Bordeaux et la "loi" (1451-1547)", De Boccard, Paris, 2011.
- Pierre Goubert, L’Ancien Régime, tome 2 Les Pouvoirs, Armand Colin, coll. « U / Histoire moderne », Paris, 262 p., 1973
- Renaud Limelette, "À la recherche de son juge dans le ressort du parlement de Flandre", dans Serge Dauchy (dir.), Les modes de résolution des conflits entre gouvernants et gouvernés, Les cahiers du Centre de Recherches en Histoire du Droit et des Institutions, no 31, 2009, 29-46. Lire en ligne.
- Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles (1923), réimpression, A. et J. Picard, Paris, 2006, 573 p. (ISBN 2-7084-0782-1)
- Hubert Méthivier, Le Siècle de Louis XIV (1962), 14e édition, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » (ISSN 0768-0066) nº 925, Paris, 1994 (ISBN 2130521614) [présentation en ligne]
- Roland Mousnier, Les Institutions de la France sous la monarchie absolue (1598–1789) (1974), Presses universitaires de France, coll. « Quadrige / Manuels » (ISSN 1630-5264), Paris, 2005, 1 253 p. (ISBN 2-13-054836-9) [présentation en ligne]
- Michel Vovelle, La Chute de la monarchie (1787–1792), vol. 1 de la Nouvelle Histoire de la France contemporaine (1972), édition revue et mise à jour, Le Seuil, coll. « Points / Histoire » (ISSN 0768-0457) nº 101, Paris, 1999, 312 p. (ISBN 2-02-037519-2)
- Philippe Pichot-Bravard, "Conserver l'ordre constitutionnel (XVIe-XIXe siècle)", LGDJ, 2011.
- Collectif, « Parlements de l'Ouest », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, PUR, t. 122, no 3, 2015 (ISSN 0399-0826, lire en ligne)
Les parlements d'Ancien Régime font l'objet de nombreuses recherches universitaires, soit à titre individuel, soit à titre collectif dans des laboratoires de recherche. Pour aider les chercheurs, le CNRS a relancé le Très grand équipement Adonis pour combler le retard de la recherche dans les humanités numériques. Une des actions innovantes soutenues par le TGE-Adonis a été de développer une bibliothèque numérique de liens pointant vers l'ensemble des sources numérisées relatives aux parlements de l'Ancien Régime. Deux corpus documentaires, destinés à faciliter l'accès aux sources, sont d'ores et déjà disponibles sous les rubriques Les recueils d'arrêts et Les consultations ou plaidoyers d’avocats. Le chercheur, comme le simple lecteur curieux, y trouvera toute la jurisprudence publiée des parlements d'Ancien Régime. Également soutenu par le TGE-ADONIS, le projet BibliParl d'une Bibliographie internationale, thématique et critique des Parlements d'Ancien Régime, en ligne début décembre 2012, est lancé par des chercheurs français et étrangers, à partir de l'IHPC (UMR 5037-ENS-Lyon-CNRS), pour permettre de constituer un outil exhaustif et évolutif de recherche dans ce domaine particulièrement dynamique.
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